Nous diffusons la beauté naturelle

Clés pour le succès sur le marché actuel du cosmétique en Espagne, par Iván Borrego (Beauty Cluster)

ENTRETIEN IVAN BORREGO

Ivan Borrego

Diplômé en génie chimique, titulaire d’un diplôme après-licence en direction générale (ESADE) et d’un master en communication d’entreprise (UB), Ivan est directeur général de Beauty Cluster [Pôle beauté] Barcelona depuis sa création en 2014. Directeur axé sur les résultats et doté d’une vision transversale et d’une connaissance approfondie de tous les domaines commerciaux (opérations, innovation, marketing, entreprise…), il est également passionné de communication (éloquence et plaidoirie). C’est pour cette raison, qu’il associe son travail de manager au sein du Beauty Cluster à son travail de professeur dans différentes universités et écoles de commerce.

Le Beauty Cluster (Pôle beauté) est la plus grande organisation transversale du secteur de la beauté en Espagne. Composé de plus de 200 entreprises, il œuvre pour booster la compétitivité du secteur par l’innovation, l’internationalisation, la mise en réseau et la formation tout au long de la chaîne de valeur du secteur de la beauté et de la santé. Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce qu’est le Beauty Cluster ? Son histoire, ses méthodes, ses objectifs, ses enjeux, etc.

Le Beauty Cluster est une association composée de plus de 200 entreprises qui favorisent avant tout la collaboration. Collaboration entre tous les acteurs de l’industrie afin de promouvoir le développement durable, la compétitivité et l’innovation dans toute la chaîne de valeur du secteur de la cosmétique, de la parfumerie et des soins personnels. Nous promouvons l’innovation, l’internationalisation, la formation et la transformation numérique. Tout cela, en nous fondant sur des valeurs spécifiques : dynamisme, générosité, intégrité et transparence. En outre, nous nous dirigeons de plus en plus vers un développement durable de l’industrie. Actuellement, tout développement doit avoir un impact environnemental et socioéconomique durable.

Beauty Cluster est né en 2014 avec des motivations très claires : innovation, internationalisation, mise en réseau et formation. De plus, en 2018, l’association fait un saut vers le numérique. Cela ne signifie pas que nous n’en avions pas tenu compte auparavant, mais ce n’est qu’en 2018 que la transformation numérique devient quelque chose de stratégique. Nous décidons alors que le premier élément devant passer au format numérique (hybride) est le pôle lui-même, et que nous devons également offrir des informations et des connaissances fortes (avec des experts, des études et d’autres outils) pour aider à la transformation numérique fondamentale de toute industrie souhaitant devenir compétitive au niveau mondial.

Les valeurs aussi sont essentielles pour le pôle. Les adhérents, c’est-à-dire les entreprises, sont notre principale source de revenus – et les entreprises paient pour quelque chose – le dynamisme est donc essentiel dans notre métier. L’un de nos principaux défis est la rapidité du changement dans la société actuelle et l’innovation dans cette industrie. Et puis, il y a la générosité. Le pôle se fonde sur la collaboration et le partage d’informations, et c’est quelque chose que l’on sent, non seulement chez les adhérents mais aussi dans notre équipe, une équipe toujours prête à aider et à collaborer. Et le dernier point, mais pas le moindre, est l’intégrité. La collaboration requiert de la confiance, et la confiance n’est pas possible sans une transparence absolue ni, bien sûr, sans confidentialité. Les adhérents doivent avoir la certitude que la participation est égalitaire. Pour cette raison, ils peuvent voir tout ce que nous faisons pour les aider – au niveau des chiffres, des actions, etc. C’est grâce à cette intégrité et à cette transparence que les entreprises ayant une grande vision collaborative se sentent particulièrement à l’aise avec nous.

En raison de vos connaissances approfondies de l’industrie, nous serions ravis de connaître votre opinion sur l’avenir des produits cosmétiques après la pandémie. Que pouvons-nous attendre du secteur de la beauté dans les 2 prochaines années ?

La cosmétique est un secteur historiquement très résilient. Il sort renforcé des crises grâce à l’innovation et à l’accompagnement du consommateur dans nombre de ses moments vitaux, soit en termes de santé, soit en termes d’aspirations. À titre d’exemple, nous pouvons rappeler ce qui s’est passé après la crise financière de 2008 et signaler la façon dont un secteur qui a vu son chiffre d’affaires baisser d’entre 20 à 30 % a rapidement repris le chemin de la croissance. Par conséquent, au niveau de la consommation, nous pensons que le chemin va se redresser dès que l’on atteindra un certain niveau de normalité.

C’est aussi un secteur qui a encore un long chemin à parcourir en matière de ventes en ligne. À l’heure actuelle, les ventes en ligne en Espagne sont inférieures à 10 % donc, par rapport à d’autres secteurs, elles sont à la queue, mais l’e-commerce n’en demeure pas moins une grande opportunité.

Je pense que, du point de vue stratégique, il est très important aussi de savoir comment les marques vont se transformer en fonction de la typologie des entreprises. Ce que nous prévoyons à la fin de la chaîne de valeur, c’est-à-dire en ce qui concerne les marques, c’est que le gâteau va être un peu plus petit, mais il y aura aussi moins d’acteurs dans certaines parties spécifiques. La crise affectera surtout les très grandes entreprises aux structures rigides, mais celles qui n’ont pas de puissance financière auront plus de mal à rester compétitives à l’international. Le sentiment est donc que nous allons assister à de nombreuses fusions, donc que nous nous trouverons face à un marché avec moins d’acteurs et avec des circuits de distribution très clairs. Par exemple, le type de ventes multimarques semble être en baisse, tandis que le circuit monomarque se développe. Un exemple serait le groupe de parfum Júlia, qui, avec le lancement de magasins où il ne vend que sa propre marque (Júlia Bonet), s’adapte à cette nouvelle tendance et explore un segment en forte croissance. Nous voyons aussi que des entreprises telles Lush, Rituals, etc. ont un comportement positif. Nous pensons que cette intégration marque-magasin sera une partie importante du changement dans les années à venir, ce qui donnera lieu à un marché avec plus de circuits monomarques et moins de multimarques.

Quant au marché cosmétique espagnol, comment le décririez-vous en quelques mots ? En quoi est-il différent des autres marchés d’Europe de l’Ouest, par exemple ?

En Espagne, à l’international, nous ne nous sommes jamais positionnés à partir d’une seule vision. Par exemple, aucun membre de l’industrie dermatologique ne mettra en doute le fait que lorsque l’on parle de la France, on parle du parfum, ou que lorsque l’on pense à l’Italie, on pense automatiquement au maquillage. Au Beauty Cluster, ce que nous percevons, c’est que l’Espagne est internationalement reconnue pour ses connaissances scientifiques. Quand on pense à l’industrie cosmétique espagnole, on pense à la dermatologie, à la cosmétologie, aux actifs innovants. Même à l’international, cette perception commence à percer grâce au grand nombre d’entreprises espagnoles qui remportent des prix prestigieux lors des salons internationaux : des entreprises utilisant des ingrédients actifs, ayant une approche hautement scientifique et connaissant une forte croissance, des entreprises qui engendrent cette vision technologique de l’Espagne grâce à des laboratoires de produits finis qui jouissaient déjà de ce prestige pharmaceutique. Tout cela a été intensifié par l’apparition en Chine de plates-formes de vente en ligne de produits dermocosmétiques espagnols qui ont créé cette perception internationale de l’Espagne en tant que pôle scientifique et innovateur. Quand on parle de l’Espagne, on pourrait dire que l’on parle du pôle biotechnologique et pharmaceutique de la Méditerranée, on parle d’innovation, on parle de science. Je crois personnellement que cela peut nous conduire vers un avenir prometteur et que c’est le côté que nous devons continuer à renforcer, bien plus que le côté « charme » espagnol. Ce que les gens attendent le plus des produits cosmétiques espagnols, tant les fournisseurs qu’au niveau du produit final, c’est une R&D puissante.

Parlons de l’une des plus grandes préoccupations des consommateurs : l’allégation naturelle. Qu’est-ce que cela signifie pour le consommateur espagnol ? Lorsqu’il recherche un produit cosmétique naturel, dans quelle mesure pensez-vous que le consommateur apprécie le caractère naturel de ses ingrédients ?

Il existe des études qui quantifient la sensibilité des consommateurs à cet égard, mais il faut être très prudent avec les études, car si la préoccupation des consommateurs pour le naturel et la durabilité est réelle, elle ne se reflète pas toujours dans leur comportement d’achat. En fait, l’acheteur espagnol achète essentiellement en fonction du prix. Oui, il existe un segment croissant d’acheteurs « concernés », soucieux de leur peau, de la nature, de la planète, etc. Et c’est de là que viennent toutes ces tendances qui sont si florissantes aujourd’hui. Je pense qu’en raison de la traction entre le grand public et l’industrie, nous verrons le changement dans quelques années. À l’instar du marché alimentaire, la traction se fera au niveau des points de vente qui, à leur tour, exerceront une traction sur les différents points de la chaîne de valeur de l’ensemble de la filière, en créant, dans un premier temps, des produits ad hoc, puis petit à petit, en adaptant les produits, même les produits historiques, aux formules biologiques, aux certifications « naturelles », au « kilomètre 0 », au « durable », ou autre. Dans le domaine des cosmétiques, nous allons déjà dans cette direction. Nous commençons à voir de grandes marques qui lancent de grandes initiatives à cet égard, et il viendra un temps où les segments finiront par coexister et seront plus présents que ne l’a jamais été le segment naturel. Toutefois, cela dépendra beaucoup des cycles économiques. Un bon cycle économique permet aux consommateurs d’acheter consciencieusement, mais en temps de crise, cela est plus difficile. Cependant, le produit naturel n’est pas forcément plus cher, ni forcément plus sûr ou moins efficace, cela dépend de nombreux autres facteurs, évidemment.

Mais si l’on oublie le facteur économique, il est clair que les consommateurs préfèrent de loin les produits naturels, même s’il leur est parfois difficile de comprendre ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas. Selon une étude que nous avons menée avec l’université de Barcelone, nous nous sommes rendu compte que les consommateurs appréciaient beaucoup les labels, mais ne les comprenaient pas vraiment, et que tout ce qui ressemblait à un label leur semblait être un label. C’est sans doute pour cette raison que l’on assiste à cette forte éclosion des applications servant à évaluer les produits (par ex. : Yuka). Étant donné que les informations absorbées par ces applications peuvent provenir, ou non, de sources fiables, la Fédération patronale française (FEBEA) a même lancé sa propre application, Claire, pour tenter de lutter contre ce problème. Malgré tout, nous pensons que les labels sont utiles pour certifier, bien que parfois les consommateurs ne connaissent pas leur signification exacte. Selon notre petite étude, l’une des options ayant le plus de potentiel est la création d’une marque de distributeur possédant une certification « produit naturel ». 

Nous vivons ce que certains appellent l’ère du Re-Awakening (l’ère du réveil), où les consommateurs sont jugés en fonction de leur empathie et de leur attitude civique. D’après vous, comment cela affecte-t-il les marques de produits cosmétiques ?

De nos jours, l’image de marque est très importante et surtout beaucoup plus vulnérable face à toute faute ou à toute incohérence. Avec les réseaux, un impact peut être créé en 10 minutes et durer pour toujours. Une marque ne pourra surmonter une controverse et ne pourra la rediriger que si elle est déjà très solide et jouit d’années de réputation. Il est essentiel de gagner la confiance des consommateurs, mais il est encore plus important de la conserver.

Outre le bien-être émotionnel et environnemental, l’efficacité scientifique et l’innovation sont deux des piliers du développement des produits. Chez Provital, nous essayons de l’exprimer dans chacun de nos lancements. Toutefois, en raison de la situation actuelle, cela peut être plus compliqué. Comment pensez-vous que la relation interentreprises a changé au sein du secteur ? Selon vous, quelle serait une bonne façon d’augmenter la visibilité aujourd’hui ?

Le fait que les événements en présentiel aient été paralysés pendant un certain temps entrave la visibilité et la commercialisation des marques, car il est très difficile d’être présent dans la tête des gens avec le bruit que fait actuellement le numérique. Avec autant de concurrence et d’événements en ligne, le niveau d’attention est plus faible et l’engagement peut se perdre. En ce sens, je pense que les réseaux sociaux sont une couche qui doit être là ; elle rappelle, en quelque sorte, que la marque ou l’entreprise concernée est là, qu’elle est active et propose certaines valeurs et, de plus, elle permet au consommateur de s’informer. Cependant, il est aussi important de se distinguer en menant d’autres actions particulières suscitant l’envie de participer des clients. Cela étant, tant en dermocosmétique qu’en parfumerie, ces actions ne doivent pas uniquement consister en des présentations ou des événements en ligne, car non seulement l’interaction continue se perd-elle, mais on y perd aussi la sensorialité, qui est un élément fondamental dans notre secteur. C’est pourquoi je pense que toute idée qui permet d’entrer en contact avec le client d’un point de vue sensoriel est une bonne idée. Nous avons vérifié cette théorie à l’aide d’une petite action menée auprès de nos adhérents. Nous leur avons envoyé des masques qui permettaient d’identifier correctement les différentes nuances olfactives et donc de sentir les parfums avec précision. La perception et le retour de cette action ont été bien plus importants qu’avec n’importe quel message, e-mail, etc. Nous sommes très proactifs en matière de numérique, mais pour le moment, le format hybride semble être la clé : qu’il s’agisse d’événements exclusifs avec des clients VIP, d’envois d’échantillons ou de packs, d’événements chez le client, etc. Tout ce qui vous différencie de l’activité numérique et, surtout, tout ce qui vous permet d’augmenter la sensorialité de vos actions, engendrera un impact bien supérieur.

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