ENTRETIEN JORGE FERNÁNDEZ
Jorge Fernández Garcia, directeur associé de Kernel Business Consulting – et diplômé en physique théorique de l’université de Barcelone – est un spécialiste de la direction, de la définition, de la conception et de la mise en œuvre de nouvelles stratégies ainsi que des transformations d’entreprise, des transformations opérationnelles et des modèles commerciaux dans plusieurs secteurs, à travers l’application des dernières découvertes en neurosciences et en sciences cognitives. Tout cela confère à Kernel une approche scientifique et technologique unique et la clé pour maximiser l’efficacité, les résultats commerciaux et l’impact de l’entreprise.
Vous avez un profil passionnément multidisciplinaire, avec un parcours professionnel marqué par la plus exacte des sciences, la physique, et le plus changeant des métiers, le conseil stratégique. De la même manière, Kernel Business Consulting se fonde sur la croissance de l’entreprise grâce à la mise en application des neurosciences. Tout d’abord, pourriez-vous expliquer ce qu’est la neuroscience ?
La neuroscience est la science (pardonnez-moi cette redondance) qui étudie le système nerveux sous tous ses aspects : fonctionnel, physiologique, chimique, etc. Le cerveau y joue un rôle de premier plan compte tenu de son importance.
Et que nous disent les neurosciences ? Que plus de 95 % des décisions humaines sont éminemment subconscientes, c’est-à-dire que c’est notre subconscient qui décide pour nous la plupart du temps, qu’au niveau conscient, nous justifions ou inhibons fondamentalement ces décisions. Prenons un exemple : je peux être convaincu que la décision d’acheter mon iPhone était consciente, mais c’est une illusion, c’est un mensonge ! Mon subconscient a acheté une expérience utilisateur, un design, une exclusivité… puis ma conscience est venue et a rationalisé cet achat : « C’est un excellent portable, il se connecte très bien avec mon PC… » créant cette fausse illusion que la décision était consciente. Il en va de même avec une voiture, avec un achat impulsif, et en général, avec plus de 95 % de nos décisions.
Je peux comprendre que quelqu’un d’aussi polyvalent que vous ait établi un lien entre les différentes disciplines pour créer une valeur différentielle et unique en matière de conseil, mais nous sommes sûrs que, comme dans toute innovation, il y a une histoire derrière. Alors, si vous nous le permettez, je vous demande pourquoi les neurosciences ? Qu’est-ce qui vous a amené à mettre ce concept en application dans le monde des affaires ?
Je pourrais dire que ce fut le hasard, mais ce ne serait pas entièrement vrai. Lorsque nous avons fondé Kernel, en 2007, nous l’avons conçu comme un cabinet de conseil spécialisé dans les processus de transformation d’entreprise pour les entreprises de taille moyenne et ceci dans une approche très pragmatique « de managers à managers », fruit de mon parcours professionnel et des nécessités de nombreuses entreprises. Après la crise financière, nous étions conscients qu’il fallait nous réinventer et surtout aider nos clients à se réinventer. C’est dans ce contexte qu’en 2009 – et cette fois-ci, par hasard – je suis entré en contact avec l’une des cinq agences leaders mondiales du neuromarketing. Bien que le neuromarketing soit une discipline éminemment tactique, ma carrière en tant que scientifique, consultant, manager et homme d’affaires (qui seraient mes quatre grandes « étapes ») m’a permis de libérer tout son potentiel pour appliquer les neurosciences, en l’occurrence, à la création de nouvelles stratégies et à leur mise en œuvre, et cela de façon beaucoup plus efficace. C’est ainsi que nous avons créé une nouvelle discipline, que nous appelons « neurostratégie », dans laquelle nous sommes des pionniers de référence internationale depuis plus d’une décennie.
Durant ces onze années au cours desquelles Kernel a présenté cette discipline sur le marché, vous avez appliqué la neuroscience à de nombreux et différents aspects de l’entreprise. Nous avons entendu parler du neuromarketing, de la neurogestion, de la neurostratégie et il existe sûrement bien d’autres mises en applications. Toutes, fondées sur le fait que, pour tout secteur, pour tout point de la chaîne de valeur et pour tout type d’entreprise, il y a toujours un facteur commun dans la prise de décision et la perception des valeurs : le subconscient.
Effectivement, cela est vrai. Et au cours de cette décennie, je crois humblement qu’il est devenu évident que cette connaissance du subconscient a fait la différence et qu’elle a engendré un avantage concurrentiel pour nos clients.
Mettons-nous en situation : que font généralement les entreprises lorsqu’elles ont besoin de savoir ce que pense leur public, par exemple, leurs clients ? Eh bien, elles les questionnent par le biais d’enquêtes, de groupes de discussion… (il existe de nombreuses méthodologies). Et les clients disent ce qu’ils pensent honnêtement ! Mais l’expérience nous montre, qu’en fin de compte, cela n’a que peu ou rien à voir avec la façon dont ils se comportent réellement.
La neuroscience appliquée aide nos clients à savoir, et plus encore, à comprendre ce que leurs publics veulent vraiment (même s’ils n’en sont pas conscients). Et, ce qui est encore plus important, traduire ces connaissances en valeur pour ces publics, pour l’entreprise et pour la société.
Comme vous le dites, la neurostratégie est appliquée à de nombreux domaines, elle compte plusieurs niveaux : de la reformulation de la proposition de valeur globale de l’entreprise à un marché ou un segment, à une ligne d’affaires, à une ligne de produits, à une expérience client, à son parcours client, à une expérience ou un parcours de patient, etc. Nous sommes même en train de réaliser la première mise en application d’une solution de recrutement à distance. Le domaine est vraiment vaste et, s’il acquiert tout son sens au niveau stratégique, il peut aussi s’appliquer au niveau tactique, et là, il fait la différence. Eh bien, encore une fois, la neurostratégie ne se limite pas à fournir le « quoi » en termes d’impact subconscient (ce que ferait le neuromarketing), mais elle nous indique également le « pourquoi » et le « comment », évitant ainsi un test ABC (avec trois alternatives) et nous donnant des lignes d’action privilégiées par rapport aux actions testées.
D’après ce que nous avons compris, c’est grâce à la mesure de ces réponses subconscientes et à la création d’un modèle très avancé se fondant sur l’intelligence artificielle d’avant-garde que vous êtes en mesure de donner des informations aussi précieuses que la réponse subconsciente et émotionnelle du client face au service/produit évalué ou sur la façon de construire une proposition de valeur de la valeur maximale perçue par le client. Cela dans l’industrie cosmétique est essentiel, car les émotions sont l’un des principaux moteurs d’achat. Les mesurer, en revanche, est déjà plus compliqué. Pouvez-vous nous donner un exemple de mesure empirique de la réponse subconsciente, appliquée à ce secteur et comment elle a été traduite dans sa proposition de valeur ?
Le processus de recherche scientifique que nous suivons, et que nous appliquons ensuite à chaque client, se fonde sur notre technologie – qui est construite à partir de techniques de pointe des neurosciences et de l’intelligence artificielle – et c’est précisément ce qui nous rend uniques. Et je peux, d’ores et déjà, vous dire que ce processus est en cours de migration vers la technologie IBM Watson.
Cette technologie est structurée en 3 étapes :
- La première utilise le système de décodage facial le plus rigoureux du marché d’un point de vue scientifique, auquel vient s’ajouter une couche d’intelligence artificielle qui lit les microexpressions faciales, ce qui permet d’obtenir beaucoup plus d’informations du subconscient. Cette lecture se fait pendant que le patient répond aux sondages et regarde des vidéos adaptées à notre méthodologie, qui vise à relever le défi posé par notre client.
- La seconde modélise : elle crée un modèle de prise de décision et de perception de la valeur du public étudié face au défi posé par notre client. Avec cela, nous obtenons de façon extrêmement détaillée, non seulement les « quoi » subconscients, mais aussi leurs « pourquoi » spécifiques. Cette deuxième couche est un modèle d’intelligence artificielle très complexe avec près de 5 000 variables.
- Et la troisième traduit tout ce qui précède pour répondre au défi posé par notre client, avec une vision à 360° dudit défi ainsi que de l’entreprise, du secteur, des autres secteurs, de la technologie, etc. En d’autres termes, cette étape est celle qui nous donne les « comment » que nous avons évoqués plus haut.
Un jour, un client du secteur cosmétique nous a posé un défi passionnant : les consommateurs pouvaient-ils, en deux mois, remarquer les effets de leur produit d’embellissement cutané. Si, finalement, la réponse avait été non, cela aurait déjà été un résultat en soi, mais, ce qui est apparu était vraiment incroyable. Au niveau du conscient, seules les personnes les mieux formées en matière de soins cutanés ont noté les effets du produit ; cependant, au niveau du subconscient, elles ont toutes remarqué les améliorations apportées par le produit, qui ont eu un impact significatif sur leur bien-être et leur bonheur. Et c’est sur ces trois axes que la proposition de valeur a été formulée : efficacité des effets du produit, bien-être et bonheur des consommateurs.
La cosmétique est, non seulement un marché qui s’appuie fortement sur les émotions et la perception de la marque du client ou du consommateur, c’est aussi un secteur de plus en plus tourné vers la science et la technologie, dont l’innovation est le moteur. Cependant, être un pionnier, un novateur ou un créateur de tendance peut, parfois, être un défi que certaines entreprises ne sont pas disposées à relever. Comment les neurosciences peuvent-elles aider à définir la bonne proposition de valeur ?
C’est précisément l’objectif et la logique de nos méthodologies et de nos technologies MindLogics® et ImagineLab®, respectivement.
Tout d’abord, elles vous aident à savoir ce que vos clients souhaitent, veulent, désirent ardemment, en faisant appel à la rigueur scientifique et en répondant aux « quoi » et aux « pourquoi » (spécifiques au défi que pose notre client) de façon aussi détaillée que nécessaire. Ensuite, elles vous aident à traduire ces connaissances – objectivement et sans arbitraire – en une proposition de valeur s’inscrivant dans une vision à 360° de l’entreprise, de sa stratégie, du secteur, des autres secteurs, de la technologie, etc. Et, de plus, tout cela à travers l’intelligence artificielle et un Big Data de pointe dans le cadre d’une alliance stratégique avec des entreprises comme Minsait (du groupe Indra) et IBM.
Mais, bien sûr, vous avez dit que de nombreuses entreprises ne sont pas disposées à assumer l’investissement. En effet, c’est le cas. Alors, comment transmettre tout cela à des clients potentiels ? Nous leur demandons de nous poser un défi, de nous présenter une situation qui se produit dans leur entreprise et qu’ils ne comprennent pas. Par exemple, pourquoi est-ce que faire exactement ce que vos clients demandent à propos d’une gamme de produits – suivre ce qu’ils demandent – ne fait pas augmenter les ventes ? Un autre exemple : pourquoi un produit rencontre-t-il un grand succès sur un marché, alors qu’il ne le rencontre pas sur un autre marché analogue ? Nous leur disons alors que plus le défi est incompréhensible pour eux, plus il met en valeur notre travail.
Chez Provital, nous nous sommes déjà familiarisés avec ce concept. L’un de nos derniers lancements était Wonderage ™, un actif well-aging qui répond au désir de paraître et, surtout, de se sentir bien. En collaborant avec vous, nous avons pu démontrer scientifiquement (grâce à l’intelligence artificielle) que Wonderage ™ a un impact sur le bien-être émotionnel subconscient. Les résultats ont été impressionnants. Mais bien sûr, à la fin, nous créons l’ingrédient actif et le consommateur entrera en contact avec la marque du produit final. Dans ce cas, comment pensez-vous qu’une entreprise pourrait exprimer ces résultats dans le développement et la promotion de son produit final ? Comment les neurosciences pourraient-elles nous aider en ce qui concerne l’un de nos principaux piliers, comme la coopération et la cocréation avec les clients ?
En fait, avec Wonderage, nous travaillons déjà dans cet esprit. Nous ne nous sommes pas limités à la proposition de valeur pour les clients Provital, mais nous avons plutôt donné des instructions, soigneusement élaborées, aux consommateurs sur le produit final, pour fournir une valeur maximale, réelle et perçue.
Mais il est vrai que, comme vous le dites, dans ce pilier de cocréation, cette même analyse pourrait être faite un peu plus tôt et aiderait Provital – et ses clients – à avoir une compréhension profonde du subconscient de leurs consommateurs concernant, par exemple, une large gamme de produits (car, généralement, plus le spectre est large, plus la valeur et les synergies sont grandes) et ainsi codévelopper et être en mesure de leur offrir ces produits ainsi que, très probablement, les services que ces consommateurs souhaitent, veulent, ou désirent ardemment. Sans aucun doute, cette création augmenterait la portée de l’innovation et, de ce fait, la création de valeur et des résultats pour tous.
Pas encore de commentaire
Pas encore de commentaire pour cet article
Laisser un commentaire